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Promesses et désillusions

CRISE La gendarmerie subit une vague de départs massive et rencontre des difficultés pour attirer de nouvelles recrues

GEOFFROY ANTOINE * Le prénom a été changé.

Une mesure « inédite » selon les dires du président. Le 2 octobre dernier, Emmanuel Macron annonçait la création de « 238 nouvelles brigades de gendarmerie » et l’ouverture de « 2 100 postes de gendarmes », une annonce qui cache une situation pourtant inquiétante. Saignée dans les effectifs, explosion des burn-out et recrutement par le bas, la plus vieille institution militaire du pays accuse le coup.

Deux cent trente-huit nouvelles brigades réparties sur l’entièreté du territoire français, un « réinvestissement historique », dixit le chef de l’État, qui permettrait à la gendarmerie de revenir en force dans des zones rurales bien souvent délaissées. « Ça nous fait doucement rire, glisse un officier, encore un effet d’annonce et une bonne dose d’électoralisme ! » Sur ces 238 nouvelles brigades, près de 150 seront mobiles ; des fourgonnettes siglées « gendarmerie » qui vadrouilleront de commune en commune. « Des gendarmes du voyage ! » s’amuse Virginie Rodriguez, responsable régionale de l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAMFG). « Une mesure pansement qui masque la réalité : les communes n’ont plus les fonds nécessaires pour accueillir de vraies casernes de gendarmerie. Je ne suis pas convaincue de l’utilité de ces camping-cars rhabillés aux couleurs de la gendarmerie. »

De l’argent pour loger ses fonctionnaires, la gendarmerie risque aussi d’en manquer. La dernière loi de programmation militaire pour 2024-2030, promulguée en août dernier, prévoit déjà une baisse de 130 millions d’euros pour le parc immobilier des gendarmes. « J’ai le sentiment qu’on donne l’illusion de réinvestir, mais on nous enlève 130 millions sur notre budget logement ! s’inquiète l’adjudant Thierry Guerrero, président de l’Association Gendarmes et Citoyens. On a déjà pris beaucoup de retard avec des logements insalubres et indignes. Il nous faudrait un budget d’au moins 300 millions d’euros pour rénover le parc… » Si l’exécutif s’enorgueillit d’ouvrir près de 2 100 nouveaux postes, plusieurs voix en interne s’inquiètent d’une forte vague de démissions. Une source au ministère de l’Intérieur évoque 3 000 départs non prévus, rien que pour l’année 2023, dont de nombreux officiers. « La hiérarchie refuse de parler d’hémorragie, mais tout le monde sait que le nombre de démissionnaires est anormalement élevé », confie Virginie Rodriguez. Une saignée dans les effectifs que le gouvernement a tenté d’enrayer par décret, le 28 juillet dernier, en imposant une souscription d’au moins quatre ans aux gendarmesélèves, et en les contraignant à rembourser une « somme forfaitaire fixée par le ministère » en cas de départ précoce.

Plus probant encore, une note interne de la gendarmerie, consultée par le JDD, indique que « les dispositifs de reconversion, d’aide et d’appui au départ ne seront plus utilisés ». Chez les fonctionnaires, l’inquiétude commence à se faire ressentir, avec de plus en plus de postes stratégiques vacants. « Cette année, on a douze places de pilotes d’hélicoptère qui ne sont pas occupées. D’habitude, c’est une à deux maximum », explique un gendarme mobile stationné en Île-de-France. Des départs en vrac qui s’expliquent par le renouvellement générationnel, moins enclin à « faire carrière » dans la gendarmerie, mais aussi à des conditions de travail parfois trop contraignantes pour l’époque. Un gradé confie : « Plus grand monde n’a envie d’être affecté au fin fond de la Creuse, loin de tout. Ni même en banlieue, où les enfants se retrouvent scolarisés dans un établissement public. Être fils de gendarme n’est pas simple dans certains coins… » Quant aux recrues fraîchement débarquées, « elles sont souvent là pour ‘‘voir’’, sans volonté de rester pour une carrière. Beaucoup sont rebutés par les valeurs militaires, la hiérarchie et l’autorité, la situation est très différente d’il y a vingt ans… » Avec le contexte sécuritaire que traverse le pays, la gendarmerie ne reste pas les bras croisés face à la chute des effectifs, quitte à baisser ses exigences en matière de recrutement.

L’argent pour loger les gendarmes risque de manquer

« Aujourd’hui, tu peux rentrer dans la gendarmerie avec une note inférieure à 5/20 aux épreuves physiques, assure Louis*, chef de peloton au PSIG, une unité d’élite. C’est le genre de chose qui se voit tout de suite sur le terrain ! » Idem pour le concours d’entrée. D’après nos informations, la quasi-totalité des concourants sur liste d’attente, soit ceux qui ont obtenu moins de 10/20, ont été recrutés dans les rangs de la gendarmerie lors des dernières sessions. « Bien sûr qu’il faut recruter, mais pas au rabais ! poursuit Louis, surtout quand on sait que le maintien de l’ordre est de plus en plus exigeant, l’institution risque de souffrir de ses recrutements ‘‘discount’’. » Entre crise des vocations et perte de son identité militaire, la gendarmerie française est, elle aussi, bousculée par les nouveaux codes générationnels.

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2023-10-15T07:00:00.0000000Z

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